Peut-on espérer un droit européen des baux commerciaux ?
Alors que les Bailleurs institutionnels sont présents dans toute l’Europe et imposent leurs standards globaux, les autres acteurs, et en particulier franco-allemands se heurtent à une règlementation bien différente d’un marché à un autre et en particulier au regard des baux commerciaux.
En Allemagne, le droit des baux commerciaux (« Gewerberaummiete[i] ») ne repose pas sur des dispositions particulières. Il est largement régi par le principe de la liberté contractuelle, tandis que la France dispose notamment depuis le décret de 1953[ii] d’une réglementation spécifique, qui ne cesse d’évoluer devenant ainsi un droit spécial ou spécifique à part entière, difficilement compréhensible pour un acteur étranger.
Alors que les deux pays régissent cette question sous des angles juridiques différents, il parait opportun d’examiner les textes législatifs en la matière mais aussi l’application desdits textes dans les faits, offrant ainsi une perspective plus nuancée des réalités commerciales de chaque pays.
La durée minimale légale d’un bail commercial en France est de neuf ans, divisée en trois périodes triennales, sauf exceptions prévues par le régime des baux dérogatoires (art. L. 145-4, L. 145-15 C. com.). Les parties peuvent convenir d’une durée supérieure à neuf ans. Pendant le bail, le preneur peut donner congé à l’issue de chaque période triennale ou en fin de bail, en respectant un préavis de six mois, par lettre recommandée ou acte extrajudiciaire. Le bailleur ne peut donner congé qu’en fin de bail ou dans des cas spécifiques (visés par l’art. L.145-4, L.145-18, L.145-21 et L.145-24 C. com.), sous réserve de verser une indemnité d’éviction, sauf motif grave.
Si aucune résiliation n’est exercée à l’échéance, le bail est prolongé tacitement pour une durée indéterminée. Dans cette période incertaine, les deux parties peuvent résilier avec un préavis de six mois et pour le dernier jour du trimestre civil (art. L. 145-9 al. 2 C. com.).
Depuis la loi Pinel (du 20 juin 2014), les baux commerciaux d’une durée supérieure à neuf ans peuvent inclure une période ferme où le preneur renonce à sa faculté de résiliation. Certains preneurs peuvent même se voir proposer des durées longues de dix voire douze ans sans faculté de résiliation triennale, ce qui peut se révéler un choix au final très coûteux et totalement inapproprié.
A l’inverse, le droit allemand des baux commerciaux se distingue par l’absence de durée minimale légale, laissant les parties négocier librement des contrats de bail à durée déterminée ou indéterminée.
Concernant les modalités de résiliation des baux allemands, il faut distinguer les baux à durée indéterminée et les baux à durée déterminée.
(i) Un bail à durée indéterminée peut être résilié à tout moment, de manière ordinaire (« ordentliche Kündigung ») avec préavis (§ 580a Abs. 2 BGB) ou extraordinaire (« außerordentliche Kündigung », § 543 BGB) en cas de motif grave (ex[iii] : défaut de paiement). La résiliation ordinaire impose un préavis jusqu’au 3e jour ouvrable d’un trimestre civil pour une prise d’effet à la fin du trimestre suivant. La computation des délais allemands mérite une attention particulière : si la notification de résiliation ordinaire est reçue par l’autre partie le 03 avril 2025, la résiliation prendra effet 6 mois plus tard, soit le 30 septembre 2025. Si en revanche la notification de résiliation n’est reçue qu’un jour plus tard, soit le 04 avril 2025, elle ne prendra effet que 9 mois plus tard, soit le 31 décembre 2025.
(ii) Largement majoritaire dans la pratique, le bail à durée déterminée prendra fin uniquement au terme de la période déterminée, sauf résiliation extraordinaire (motifs graves). Toutefois, si des éléments essentiels d’un bail commercial à durée déterminée de plus d’un an ne sont pas écrits, il peut basculer sous le régime des baux à durée indéterminée, redonnant au preneur une faculté de résiliation ordinaire, comme le démontrent de nombreux jugements récents rendus [iv] en application du § 550 BGB.
Deux grands absents du droit allemand sont également à souligner : d’une part l’absence du droit du renouvellement du bail pour le preneur et d’autre part l’absence d’indemnité en cas d’éviction du preneur, contrairement au système français qui se révèle structurellement plus protecteur des preneurs.
Bien que le droit des baux commerciaux en France soit très encadré, à l’instar de l’Allemagne, il reste néanmoins une place à la négociation ce que nombre de preneurs ignorent à leur dépend. Dans l’attente d’une possible uniformisation législative européenne, recommandons aux preneurs français de s’inspirer de leurs homologues allemands et de négocier au maximum les clauses de leur bail.
[i] §§ 535 ff., 578 Abs. 2 BGB.
[ii] Décret n°53-960 du 30 septembre 1953 réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal :
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000675530
[iii] § 543 Abs. 1 BGB : Chaque partie contractante peut résilier le contrat de bail sans préavis pour motif grave. Il y a motif grave lorsque, compte tenu de toutes les circonstances du cas d’espèce, en particulier d’une faute des parties contractantes, et après avoir pesé les intérêts des deux parties, la poursuite du contrat de bail jusqu’à l’expiration du délai de préavis ou jusqu’à la résiliation du contrat de bail pour toute autre raison ne peut être raisonnablement exigée de la partie qui résilie le contrat.
[iv] BGH, Beschluss vom 15. September 2021, Az. XII ZR 60/20; BGH, Urteil vom 10. Februar 2021, Az. XII ZR 26/20; BGH, Urteil vom 10. Februar 2021, Az. XII ZR 27/20; BGH, Urteil vom 4. November 2020, Az. XII ZR 104/19; BGH, Urteil vom 4. November 2020, Az. XII ZR 4/20; BGH, Urteil vom 26. Februar 2020, Az. XII ZR 51/19; BGH, Urteil vom 11. April 2018, Az. XII ZR 43/17; BGH, Urteil vom 25. November 2015, Az. XII ZR 114/14.